Chapitre 4: Le déclin
Trois semaines s’étaient écoulées depuis la naissance d’Elliot. Trois semaines enchantées. Je débutais mon rôle de mère avec un ravissement total. Je n’avais jamais ressenti un bonheur si intense de toute ma vie. Ce nouveau chapitre de mon histoire était de loin le meilleur !
Mais tout bascula le matin où je me levai pour aller à notre dernier rendez-vous à la clinique d’allaitement. Ce fut de peine et de misère que je me hissai hors de mon lit pour me préparer. La fatigue me frappa alors en plein visage. Je me sentais épuisée et j’avais l’impression tout d’un coup que ma tête était lourde et que mon cerveau fonctionnait au ralenti.
La visite à la clinique fut encourageante. Elliot continuait de prendre du poids à une excellente vitesse et on me dit que je n’avais plus besoin de revenir. Mais avant de partir, je fis part de mes préoccupations à l’infirmière principale. Je lui mentionnai que j’avais de la difficulté à trouver sommeil et que mon cerveau roulait à vive allure, m’entraînant à faire autre chose que de me reposer Maintenant que je me sentais soudainement très fatiguée, je voulais m’assurer de pouvoir dormir. Que faire ?
Elle me conseilla alors de m’allonger dans le plus d’obscurité possible afin de faciliter le repos pendant le jour. Je devais aussi limiter toute stimulation. Un bon verre de lait chaud avant d’aller me coucher le soir me fut aussi suggéré pour m’aider à trouver le sommeil. Je la remerciai donc de ses conseils et repartis à la maison avec la ferme intention de les appliquer.
Et c’est ce que je fis. Chaque fois qu’Elliot dormait, je me forçai à me coucher en même temps que lui, les rideaux fermés, la musique et l’ordinateur éteints. Je n’arrivais pas toujours à dormir et le soleil radieux à l’extérieur me donnait juste l’envie de profiter des premières belles journées de l’automne. Et pourtant, je ressentais bel et bien de la fatigue. En fait, je me sentais devenir de plus en plus faible de jour en jour. Je remarquai même que ma concentration diminuait grandement par moment. Parfois, je devais relire un courriel à multiples reprises avant d’en saisir vraiment le contenu. Les mots défilaient sous mes yeux sans que mon cerveau arrive de peine et misère à y trouver un sens. Je refermais alors mon portable en mettant cette extrême lenteur d’esprit sur le compte de la fatigue.
Puis un soir, pendant que j’allaitais Elliot, une vague de panique m’envahit soudainement. Je sentis que je perdais le contrôle dans ma tête. Je me demandai si j’allais être capable de finir d’allaiter Elliot et de le faire boire à nouveau quelques heures plus tard. Cela ressemblait étrangement à la vague d’anxiété que j’avais ressentie deux semaines auparavant, le soir avant de me coucher. Sauf que cette fois-ci, je n’arrivais pas à me calmer. Cela ne faisait que renforcer ma panique et je décidai donc d’en parler avec Gerhard. Nous jugeâmes alors qu’il serait important que j’avise une de mes sages-femmes à ce propos.
Je composai donc le numéro d’urgence du téléavertisseur et dans les minutes qui suivirent, une sage-femme me téléphona. Je lui expliquai mes symptômes et elle tenta du mieux qu’elle put de me rassurer en me disant que cette anxiété pouvait être normale et que même si j’avais de la difficulté à le croire, j’allais être capable de continuer d’allaiter Elliot. Bien que cela me calma de pouvoir lui parler, je ne fus pas convaincue qu’elle avait vraiment compris ce que je ressentais. Si le sentiment de panique était une des raisons valables, d’après les documents que nous avaient remis les sages-femmes après l’accouchement, pour faire un appel d’urgence, je me demandais pourquoi elle ne semblait pas vraiment s’en inquiéter. Je raccrochai en souhaitant que cette panique ne refasse plus surface.
Puis, une nuit que j’allaitais Elliot, j’eus le fort pressentiment que Dieu me demandait d’écrire un courriel à ma sœur le plus vite possible, avant le matin. Je savais que ma sœur traversait des moments difficiles et je fus alors convaincue que je devais lui écrire un message d’encouragement afin d’éviter qu’elle se suicide (ce qu’elle n’aurait en fait jamais envisagé). Je sentais que l’Esprit Saint me poussait à le faire et que je devais sacrifier du temps de mon sommeil pour obéir à cet appel. Et c’est ce que je fis. Aux petites heures du matin, malgré ma fatigue, je pris mon portable et je rédigeai une note d’encouragement et d’amour à ma sœur. Je ne lui mentionnai pas ma crainte qu’elle se suicide mais je fis tout en mon possible pour qu’elle sente que je pensais à elle et que je priais pour elle. Lorsque je retournai me coucher, un certain sentiment de soulagement m’accompagna. J’avais fait la volonté de Dieu. Mais je m’endormis en espérant recevoir une réponse de ma sœur dès le lendemain afin de me confirmer que le pire ne lui était pas arrivé. Quand elle répondit à mon courriel au courant de la journée, je me sentis rassurée et fière de ce que j’avais fait pour elle.
Le surplus d’énergie que j’avais ressenti les semaines précédentes avait définitivement disparu. Je passais de plus en plus de temps au lit et je commençais à trouver que le fait de s’occuper d’Elliot devenait de plus en plus exigeant. Gerhard était d’un support remarquable en cuisinant tous les repas et en m’aidant du mieux qu’il pouvait avec Elliot. Mais le répit que cela m’accordait et les heures de sommeil que je parvenais mieux à acquérir ne me donnaient pas l‘impression que je récupérais et que je prenais du mieux. Au contraire : je commençais à ressentir des étourdissements lorsque je me levais ce qui m’empêchait de rester debout bien longtemps.
Puis les crises d’anxiété refirent surface. Durant ces moments, je demandais à Gerhard de rester près de moi et de ne pas me laisser seule dans la chambre. Et lorsque je me sentais mieux, je craignais qu’il sorte de la maison et que cela se reproduise. Je ressentais aussi une peur inexplicable et incontrôlable qu’il meure d’un accident lorsqu’il sortait de la maison pour faire des commissions ou aller au centre d’entraînement. Bien qu’il pensait que ma peur était exagérée, il tentait patiemment de me rassurer et il apportait toujours son cellulaire avec lui pour que je puisse le rejoindre en tout temps. Chaque fois qu’il rentrait à la maison, une vague de soulagement m’envahissait en constatant qu’il était toujours vivant.
Mes étourdissements et l’impression que j’allais m’évanouir quand j’étais debout s’amplifièrent. Nous décidâmes alors de demander conseil à une sage-femme. Je m’entretins avec la même qui m’avait parlé lors de ma crise d’anxiété. D’après mes symptômes, elle suspecta que je faisais de l’anémie. Elle me conseilla alors de prendre du fer pour me sentir mieux. Gerhard alla donc chercher ce qu’il fallait et je commençai immédiatement à prendre les doses de fer recommandée en espérant que cela fasse effet le plus rapidement possible.
Mon appétit avait aussi diminué depuis quelques jours. J’avais l’habitude de manger une grosse collation au milieu de la nuit, après le boire d’Elliot, mais je n’en ressentais plus le besoin. Je continuais tout de même à me forcer à manger afin de conserver l’énergie nécessaire pour allaiter.
Puis une nuit, je me réveillai avec un atroce mal de tête et une douleur lancinante et suspecte dans ma cuisse droite. Après avoir allaité Elliot et m’être forcée à manger une collation, je décidai de prendre un comprimé de Tylenol pour combattre mon mal de bloc. Mais cela n’eut aucun effet. Comme la douleur m’empêchait vraiment de me rendormir, je décidai, un peu contre mon gré, de prendre un deuxième comprimé. Je réussis finalement à me rendormir bien que la douleur n’ait pas disparu.
Le même scénario se présenta la nuit suivante. La douleur me maintenait éveillée et commençait à me tracasser. L’idée qu’un caillot de sang ait pu se former dans ma cuisse traversa alors mon esprit car la douleur s’était déplacée plus haut dans ma jambe. J’en fis part le lendemain à Gerhard et il pensa que ça pouvait être le cas car mes symptômes ressemblaient à ceux qu’il avait déjà eus lorsqu’il fut traité pour un caillot de sang dans la jambe. En attendant ma prochaine visite à la clinique de sages-femmes, je me dis que je prendrais de l’Aspirine en sachant que ça éclaircissait le sang.
Mes malaises m’empêchaient toujours de rester debout longtemps. Le fer que je prenais ne semblait vraiment pas améliorer ma condition. Lorsqu’un soir Gerhard me demanda de l’aider à donner un bain à Elliot, je me levai du mieux que je pus en espérant ne pas être étourdie. Mais en vain… Ça ne faisait que quelques minutes que j’étais debout qu’une vague d’étourdissement et d’anxiété me saisit et m’obligea à rejoindre mon lit en marchant accroupie, la tête entre les deux jambes. Cela se mit à inquiéter sérieusement Gerhard et il commença à douter des informations reçues par la sage-femme à qui nous avions parlé. Sachant qu’elle était en fait en train de faire son stage final pour devenir sage-femme, il décida de contacter directement la clinique pour pouvoir tenter de parler à Holly afin d’obtenir un avis plus expérimentée sur ma condition. La secrétaire prit le message et nous attendîmes qu’Holly nous téléphone.
Pendant ce temps, j’étais allongée sur le lit, incapable de me lever ou de bouger par peur de m’évanouir. Quand Holly nous appela, Gerhard me remit le combiné et je tentai du mieux que je pus de décrire à Holly ce que je ressentais depuis quelques jours. Quelque chose clochait sérieusement et elle le pressentait. Malgré mes réticences à quitter la maison, elle me demanda de faire tout en mon possible, le lendemain matin, pour venir la voir à la clinique. Je lui disais que je ne sentais pas la force de me déplacer et que je craignais de m’évanouir. Malgré mes craintes, elle insista une fois de plus à ce que je me présente à sa clinique. Loin de paraître alarmé, son ton de voix était rassurant tout en étant suffisamment ferme pour me convaincre. J’étais soulagée de savoir qu’on s’occuperait de moi sous peu.
Une fois la conversation terminée, je remis le téléphone à Gerhard. Il s’enquit tout de suite de me demander ce qu’avait dit Holly. C’est alors qu’une terrible vague de vertige m’envahit, tellement forte que je me sentis clouée au lit, incapable de bouger ni même de parler. Je sentais que la folie me gagnait, que j’allais perdre la raison. J’étais paralysée de peur. Je vis alors la panique dans les yeux de Gerhard. Je réussis à peine à lui faire signe du doigt d’attendre, que je pourrais lui parler dans quelques instants. Tout en moi luttait pour rester consciente et pour combattre cette inertie qui venait de s’emparer de mon corps au point de me laisser sans voix. C’était une sensation horrible ! Au même moment, Elliot se mit à pleurer pour que je puisse l’allaiter. De peine et de misère, je fis signe à Gerhard de le coucher contre moi. Gerhard déboutonna ma chemise afin de permettre à Elliot de boire. Ce dernier avait heureusement l’habitude d’être allaité couché à mes côtés. Il arrêta de pleurer aussitôt qu’il eut un de mes mamelons dans sa bouche. Le calme qu’il dégageait malgré le tumulte intérieur qui me rongeait eut un effet rassurant et bénéfique sur moi. En quelques minutes, je réussis à retrouver le contrôle de mon esprit et je pus enfin communiquer lentement, une phrase à la fois, entrecoupée de pauses, le contenu principal de ma conversation avec Holly. Gerhard parut satisfait de ce qu’elle avait dit. Tout comme moi, il avait très hâte de recevoir un avis supplémentaire sur ma condition.
Ce soir-là, comme les quelques autres soirs qui avaient précédé cette journée, Gerhard ne fit aucune sortie de la maison. Je voyais à quel point ma condition l’inquiétait mais je constatais aussi le besoin qu’il ressentait de sortir pour se changer les idées, pour libérer le stress des derniers jours Mais je ne pouvais pas envisager de rester seule avec Elliot, ne serait-ce que pour une heure. Il le savait et il ne se serait de toute façon pas senti rassuré de me laisser seule dans un tel état.
Le lendemain matin, je réussis à me lever, à prendre un bain et à me préparer sans trop de difficulté pour me rendre à la clinique des sages-femmes. Pendant le trajet en voiture, je m’assurai de rester dans une position semi-couchée afin d’éviter les sensations de vertige. Dans la salle d’attente, je gardai une position semblable en attendant qu’Holly nous appelle dans son bureau.
Lorsqu’elle m’aperçut, elle sut tout de suite que quelque chose n’allait pas. Bien que cela l’inquiétat, elle garda une attitude calme et posée. Je ne garde pas un souvenir précis de tout ce qui se passa lors de ce rendez-vous. D’après ce que me raconta Gerhard, mon comportement fut très inhabituel et inconstant. Je passai de la bonne humeur à l’inquiétude, parlant sans problème puis soudainement, prise de vertige, ressentant le besoin de m’allonger sur le sofa pour me calmer. Je me souviens avoir décrit mes symptômes des derniers jours et avoir demandé à Holly son avis sur mon état. Elle me répondit qu’elle voulait bien me donner une réponse mais qu’elle ne savait pas (en fait, elle n’avait pas le droit de poser un diagnostic médical n’étant pas médecin). Je fus soudainement prise de peur à l’idée que ce pourrait être un cancer. En se faisant la plus rassurante possible, elle me dit que la meilleure chose à faire, selon elle, était de prendre rendez-vous avec mon médecin de famille. Et si le rendez-vous ne pouvait pas m’être donné avant deux jours, je devais envisager d’aller à l’urgence. Elle me dit que je ne devais plus endurer une telle souffrance plus longtemps. Je devais aller chercher de l’aide pour faire en sorte de vivre pleinement et aisément le temps précieux avec mon bébé.
Nous avons donc quitté la clinique avec l’intention de prendre rendez-vous le plus rapidement possible avec mon médecin de famille, une infirmière praticienne francophone. Dès que je suis arrivée à la maison, je téléphonai à la clinique médicale pour me faire dire que cette dernière ne travaillait plus avec eux et que l’autre médecin ne pouvait pas prendre de rendez-vous d’urgence avant trois jours. Ce délai m’a tout de suite paru trop long. En raccrochant, j’ai donc décidé avec Gerhard de me rendre tout de suite à l’urgence. Je ne me sentais définitivement pas bien et je voulais recevoir de l’aide le plus rapidement possible. Gerhard craignait que l’attente soit longue à l’urgence, mais je préférais me rendre à l’hôpital tout de suite au lieu d’aller dans une clinique sans rendez-vous pour ensuite me faire dire que je devais plutôt me faire soigner à l’hôpital.
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