Je me rappelle encore son visage sérieux et fatigué, mais quelle empathie je percevais dans ses yeux!  Gerhard savait quelque chose que j’ignorais et il avait décidément l’intention de me le partager.

La première chose qu’il m’expliqua fut que j’avais besoin de soin.  Non, je n’étais pas guérie miraculeusement, malgré ce que je pouvais bien croire.  Au contraire, j’étais bel et bien malade psychologiquement et je devais accepter d’être soignée.  Mes symptômes ressemblaient grandement à ce qu’il avait lu sur internet et s’il se fiait à ces sources, des complications sévères pourraient voir le jour si je n’étais pas traitée sous peu.

Gerhard ne voulait pas m’alarmer mais comme le niveau de confiance entre nous avait toujours été très grand, il savait qu’il ne pouvait pas me cacher ce qu’il savait et que je voulais qu’il m’en fasse part.

Il me raconta alors que ses lectures mentionnaient le cas d’une femme qui, souffrant de psychose du post-partum, en proie à des idées délirantes, avait noyé ses cinq enfants dans la baignoire. Quoique rares,  l’infanticide et même le suicide pouvaient résulter de ce trouble s’il n’était pas traité à temps ou convenablement.

Cela suffit pour me convaincre et calmer ma frénésie.  Je voulais maintenant recevoir tous les soins qu’on mettrait à ma disposition. Bien que déstabilisée, mais tout de même pas terrorisée,  j’étais reconnaissante envers mon mari d’avoir eu le courage de me parler pour me ramener à la raison.  Il me conseilla toutefois de ne pas faire part de ce qu’il m’avait dit à l’infirmière ou à un médecin. Il préférait attendre qu’on me questionne davantage et qu’on me donne un diagnostic professionnel avant de faire part de ses propres conclusions.

Puis il me dit qu’après ses recherches sur internet, il avait téléphoné à mon frère pour lui annoncer que j’étais hospitalisée et pour lui expliquer mon état.  Ne sachant pas trop comment communiquer cela à mes parents, et surtout qu’il ne parlait pas français, Gerhard lui laissa le soin de décider quand et comment il leur transmettrait la nouvelle.  Mon frère était renversé par ce qu’il venait d’apprendre et il préféra en avertir rapidement mes parents sachant que ma mère s’organiserait sûrement pour venir nous voir dans les plus brefs délais.

Après un certain temps, l’infirmière de garde se présenta pour nous annoncer que je serais transférer dans une chambre privée.  Je pourrais garder Elliot avec moi sous la condition qu’il y ait toujours quelqu’un en ma compagnie qui pourrait s’occuper de lui si je venais à ne pas me sentir bien.  Puis un infirmier arriva presqu’aussitôt avec une civière pour me conduire, ainsi qu’Elliot, à ma nouvelle chambre.  Gerhard nous suivit.  Je ne sais pas comment on décida de l’étage sur laquelle j’allais être.  Tout ce que je me souviens c’est de voir l’enseigne « neurologie » et nombre de patients qui auraient presque pu être mes grands-parents.  Bizarre, pensai-je.  J’étais bien loin de me sentir en terrain connu…

À ma grande surprise, la chambre était plutôt grande et presque accueillante. Le mur du fond était constitué de larges fenêtres qui éclairaient parfaitement la pièce.  La salle de bain était spacieuse et privée.  Et il n’y avait qu’un seul lit.  On avait probablement jugé bon de me donner une chambre privée étant donné que j’avais un bébé.  Cela fit bien mon affaire!

À peine eus-je le temps d’arriver qu’une infirmière se présenta avec une chemise d’hôpital qu’elle m’invita à mettre une fois que j’aurais pris ma douche.  C’était en effet la chose que j’avais le plus hâte de faire : me laver!

Au cours de l’avant-midi, Gerhard reçu un appel d’Holly qui s’informait de mon état. Quand il lui annonça que j’avais été admise à l’hôpital et que j’occupais maintenant une chambre privée, elle prit en note toutes les coordonnées nécessaires pour venir me visiter.  C’est ainsi que vers la fin de l’avant-midi, elle se présenta à ma chambre.  J’étais très contente de la voir et encore plus touchée par le fait qu’elle venait me voir pendant une de ses précieuses journées de congé.  De toute évidence, elle nous avait à cœur et voulait s’assurer que j’étais entre bonnes mains.

Pendant qu’Holly s’entretenait avec moi, Gerhard profita de ce moment pour aller téléphoner de nouveau à mon frère pour lui donner les dernières nouvelles.  Ce dernier lui annonça qu’il avait parlé de ma situation à mes parents et que ma mère tenait à venir me voir le plus rapidement possible.  Gerhard fit alors les démarches nécessaires pour réserver un billet d’avion permettant ainsi à ma mère d’arriver le soir-même.

Durant l’absence de Gerhard, un jeune médecin se présenta à ma chambre pour me parler.  C’était la première fois que je le voyais.  Après m’avoir examinée et posé quelques questions sur mon état, il me fit part de son « diagnostic ».  Bien que les symptômes que j’avais présentés n’avaient  pas été agréables à vivre, il envisageait pour moi un très court séjour à l’hôpital.  Il me restait une échographie de la cuisse à passer afin de s ‘assurer que je n’avais pas de caillot de sang (comme j’avais pu le croire d’après mes douleurs).  Si cet examen ne révélait rien d’anormal, je pourrais retourner à la maison dès le lendemain.  Tout ce que j’aurais à faire si des malaises se présentaient à nouveau serait de me résonner en me disant que cela passerait.

C’est tout?, pensais-je.  J’avais de la difficulté à le croire. En croisant le regard d’Holly, je sus tout de suite qu’elle remettait en question le diagnostic de ce médecin.  Ne faisant pas partie du personnel hospitalier de cet hôpital, elle était en bien mauvaise position pour argumenter avec lui, ce qui fait qu’elle ne dit mot.  Mais dès qu’il fut sorti de la chambre, elle s’adressa à moi pour me demander ce que j’en pensais.  Je lui dis que je ne voulais pas retourner chez moi et que je croyais que mon état était beaucoup plus sérieux que ce que pouvait en penser ce médecin.  Elle était tout à fait d’accord avec moi.

Sur ce, Gerhard revint dans la chambre après avoir finalisé ses appels téléphoniques.  Holly et moi le mirent  rapidement au courant de la visite du médecin et de son diagnostic.  Gerhard regretta d’avoir été absent pendant cet entretien.  Mais il pensait comme nous : j’avais besoin d’un autre avis médical sur ma condition. Je ne pouvais pas retourner à la maison de sitôt.

C’est alors qu’Holly nous demanda si nous accepterions qu’elle entre en contact avec une travailleuse sociale qu’elle connaissait et qui travaillait dans cet hôpital. Peut-être cette dernière pourrait-elle faire des démarches pour qu’un autre médecin examine de plus près ma condition.  Cette proposition nous plut.  Holly nous quitta donc pour quelques instants afin de pouvoir tenter de rejoindre cette femme.

Pendant ce temps, Gerhard me mis au courant de ses discussions avec mon frère et des démarches qu’il avait faites pour que ma mère puisse arriver le soir-même.  Il lui avait même parlé au téléphone, celle-ci se débrouillant autant qu’elle put en anglais, pour s’entendre sur l’heure à laquelle il irait la chercher à l’aéroport.  J’étais soulagée à l’idée qu’elle avait pu se libérer de ses engagements pour venir nous prêter mains fortes.  Mais puisque Gerhard était épuisé et qu’il voulait récupérer le plus de sommeil possible, il me dit qu’il ne reviendrait pas à l’hôpital après être allé la chercher.  Je la verrais donc seulement le lendemain matin.

Puis Holly revint dans notre chambre en nous disant que la travailleuse sociale passerait nous voir au courant de l’après-midi.  Un infirmier se présenta ensuite avec une civière pour m’amener passer l’échographie de ma jambe.  Je laissai donc Elliot en compagnie de Gerhard et Holly. Je me rappelle que l’infirmier était très aimable et qu’il engagea la conversation pour me mettre à l’aise.  Sa bonne humeur me fit un grand bien.  Je me sentais respectée, ce que j’avais le plus grand bien en ces moments difficiles.

L’échographie se passa plutôt rapidement.  L’homme qui me la fit passer inspecta soigneusement ma jambe, mais je pouvais sentir qu’il se demandait bien pourquoi je passais cette échographie. Je ne fus donc pas surprise lorsqu’il me demanda la raison pour laquelle le médecin avait demandé à ce que je passe cet examen.  Je lui expliquai qu’une douleur qui se déplaçait dans ma cuisse m‘avait laissé croire que j’avais peut-être un caillot de sang. Quoique ma douleur ait disparu, le médecin avait sûrement préféré ne pas prendre de chance et décidé de faire inspecter le tout.  Sur ce, il m’annonça qu’il ne voyait rien d’anormal dans ma jambe et qu’aucun caillot de sang ne s’y trouvait.  Cela me rassura mais quelque chose au-dedans de moi me disait que je le savais déjà.  Je commençais bien à me douter que mes malaises des derniers jours, qui avaient subitement disparus, étaient possiblement psychosomatiques… Mais je me gardai de partager cette information.

J’arrivai à temps à ma chambre pour donner le boire d’Elliot.  Pendant que je l’allaitais, Holly nous offrit quelques conseils.  Selon elle, ma condition nécessitait que je puisse dormir le plus possible.  Elle nous suggéra donc que Gerhard garde Elliot à la maison la nuit pour me permettre de passer une nuit complète sans avoir à me réveiller pour l’allaiter.  Elliot n’ayant jamais bu à la bouteille, je m’inquiétais de la façon dont cela se passerait.  De plus, je tenais à ce qu’il boive mon lait plutôt que le lait maternisé.  Holly nous recommanda alors de louer une pompe électrique pour pomper mon lait et le garder pour les boires de nuit d’Elliot.  Les infirmières pourraient sûrement le déposer dans un réfrigérateur en attendant que Gerhard le récupère. Et si je n’accumulais pas assez de lait, il pourrait toujours le mélanger à du lait maternisé.  L’idée me plut et je gardai espoir qu’Elliot s’habitue facilement à la bouteille sans refuser ensuite le sein. Gerhard nous quitta donc pour aller louer la pompe et pour acheter les bouteilles et quelques contenants de lait maternisé prêt à consommer.

Pendant l’absence de Gerhard, Holly entretint la conversation avec moi.  Nous en sommes venues à parler de sa vie personnelle et de ses projets de mariage et de maison.  Je ne me rappelle plus comment notre discussion aboutit sur ma propre expérience sur le sujet, mais j’en vins à parler de mon premier mariage, de mon éprouvant divorce et de tout le stress psychologique que cela avait occasionné pour moi.  À l’écoute de mon récit, elle m’encouragea à partager ces informations à la travailleuse sociale car elle croyait qu’un lien pouvait être fait entre les événements stressants que j’avais vécus et ce que j’expérimentais en période du post-partum.  Je ne savais pas trop comment elle en arrivait à cette conclusion mais je lui fis confiance et je me promis d’en glisser un mot à la travailleuse sociale.

Quand Gerhard revint de faire ses courses, nous testâmes la pompe électrique.  Quoique pas très chic à voir avec la pompe sur les deux seins en même temps, l’efficacité de la machine me surprit.  Pour les bienfaits de la cause, ça valait bien la peine de me sentir momentanément dans la peau d’une vache se faisant traire… Holly s’assura d’aviser les infirmières de déposer le lait bien identifié à mon nom au réfrigérateur de l’étage.

Vers le milieu de l’après-midi, la travailleuse sociale se présenta à notre chambre.  Dès que je commençai à lui parler, je pressentis une lueur d’espoir.  Cette femme dégageait tant de chaleur et d’empathie à mon égard que je me sentis tout à fait à l’aise de lui partager les points saillants de mon expérience suite à l’accouchement. Je pris aussi soin d’y ajouter les faits qu’Holly m’avait encouragée à partager sur les événements bouleversants que j’avais vécus auparavant.

Après m’avoir écoutée avec attention et m’avoir posé quelques questions, elle me remit un feuillet d’information portant sur les troubles de l’humeur du post-partum.  Avec l’aide de Gerhard, elle me demanda d’y cocher tous les symptômes que j’avais ressentis et que je continuais de ressentir depuis mon accouchement.  De nombreux symptômes furent ainsi cochés dont un plus particulièrement dans la section de la psychose du post-partum, laquelle étant la condition la plus sérieuse du post-partum. Le feuillet mentionnait que cette condition est rare et qu’elle affecte seulement une à deux femmes sur mille.  Mais l’accent était mis sur l’urgence de recevoir des soins médicaux dans une telle situation étant donnée sa gravité et les risques qui y sont rattachés pour la mère et pour l’enfant.

Après avoir regardé les symptômes que j’avais cochés et remarquant que j’en avais un dans la section de la psychose, la travailleuse sociale me questionna plus précisément sur ce dernier.  J’avais coché l’énoncé qui disait que je perdais contact avec la réalité.  Elle me demanda donc des exemples pouvant expliquer cet état.  Je lui mentionnai alors ma conviction que Gerhard allait mourir, la demande de Dieu pour empêcher le suicide de ma sœur, la douleur à ma jambe et la conviction qu’un miracle s’était produit quand je me mis à me sentir mieux.  Elle confirma donc ce que je pensais.  Puis, ayant remarqué que je n’avais pas coché l’énoncé qui mentionnait les pensées suicidaires et les pensées violentes envers le bébé, cela piqua sa curiosité.  Je me rappelle alors qu’elle me demanda de façon très directe et pointue si ça m’avait déjà traversé l’esprit de faire du mal à Elliot.  La question me pris par surprise et m’estomaqua. J’éclatai alors en sanglots.  Jamais au grand jamais l’idée de faire du mal à Elliot ne fut l’objet de mes pensées!  Je me sentis sur la défensive et je continuai de répéter qu’aucune idée violente ne m’était apparue envers mon fils.  Je n’arrivais même pas à imaginer comment une mère pouvait penser infliger du mal à son nourrisson et même aller jusqu’à le tuer.  Mes réponses la convainquirent que je disais vrai et pour me calmer, elle me fit comprendre les raisons de son questionnement si pointu.  Comme la psychose du post-partum est une condition sévère qui affecte grandement l’état mental, aucun risque ne devait être pris qui pourrait mettre ma vie ou celle d’Elliot en danger. Les mères atteintes de psychose qui en viennent à se faire du mal ou à faire mal à leur bébé ne sont pas dans leur état normal.  Elles posent ces gestes lorsqu’elles perdent contact avec la réalité et qu’elles sont en proie à des idées délirantes et à des hallucinations.  Donc, comme je présentais déjà un des symptômes de la psychose, elle devait s’assurer que je n’en vienne pas à poser des gestes regrettables.

Une fois ces explications données, elle nous dit, à Gerhard et à moi, que d’après ce qu’elle voyait de mes symptômes, ma condition nécessitait un suivi médical et que je ne devais pas retourner chez moi sans avoir été soignée.  Je présentais en effet un trouble de l’humeur du post-partum et mon état de santé devait être pris beaucoup plus au sérieux que ce que le médecin avait diagnostiqué.  Avant de nous quitter, elle nous assura qu’elle ferait les démarches nécessaires pour que ma condition soit réévaluée.  Entre temps, son conseil était que je ne reste pas seule Elliot et que Gerhard soit toujours avec moi lorsque je m’occupais de ce dernier.  Nous remerciâmes Holly et elle de leur support puis toutes les deux nous quittèrent.

Comme l’arrivée de ma mère à l’aéroport approchait, j’offris un dernier boire à Elliot avant que Gerhard ne quitte avec lui pour aller la chercher.  J’avais le cœur gros à l’idée d’être séparée de mon bébé pour la soirée et pour la nuit.  Je m’inquiétais aussi de la façon dont il réagirait à mon absence et à son premier boire à la bouteille.  Mais je faisais confiance à Gerhard et à ma mère et je savais que c’était mieux ainsi pour que je puisse passer une bonne nuit de sommeil.

Tout au long de la journée, je m’étais sentie plutôt bien, n’éprouvant parfois que quelques difficultés à me concentrer.  Mais lorsque je me retrouvai seule et que l’heure du coucher approcha, je commençai à sentir une vague de panique m’envahir.  Je fis du mieux que je pus pour la contrôler mais en vain.  Je ne pouvais pas rester seule avec cette sensation insupportable de perdre la raison.  J’appuyai donc sur le bouton d’appel afin qu’une infirmière vienne me voir.

Heureusement, une infirmière se présenta à ma chambre sans trop de délai.  Du mieux que je pus, je lui expliquai comment je me sentais en lui demandant de bien vouloir me tenir les mains le temps que la crise passe.  Me sentant affolée par ce que je ressentais, je ne pouvais réprimer les larmes de peur et d’impuissance qui remplissaient mes yeux.  C’est alors que l’infirmière se mit à me parler d’une voix douce et apaisante.  Elle me demanda si j’étais croyante.  Lui répondant par l’affirmative, elle tenta de me réconforter en me disant que des anges veillaient sur moi et qu’elle était convaincue que je finirais bientôt par me sentir mieux.  Ses mots et la gentillesse à laquelle elle me les partagea eurent l’effet d’un baume sur mon angoisse.  Je commençai à  me sentir un peu mieux.

Comme j’avais besoin de manger une collation avant de me coucher (les repas d’hôpitaux étaient loin de satisfaire mon appétit de mère qui allaite), je lui demandai si elle pouvait aller me trouver quelque chose à manger.  Elle sortit donc de ma chambre pour aller me chercher ce qu’il fallait.  Le temps de son absence, une autre vague de panique m’envahit et lorsqu’elle revint, j’eus toutes les misères du monde à lui parler.  La panique avait une telle emprise sur moi que je n’arrivais même pas à manger moi-même le sandwich qu’elle m’avait apporté.  Sensible à ma détresse, elle prit le sandwich dans ses mains et se mit à me nourrir lentement, une bouchée à la fois.  Heureusement, la panique diminua et je commençai à me sentir plus calme. L’infirmière me laissa donc pour aller voir d’autres patients en me disant que je pourrais demander de l’aide à nouveau si je ne me sentais pas bien.

Quelques instants plus tard, une autre infirmière se présenta pour me donner une pilule en m’assurant que celle-ci m’aiderait à bien dormir. Je l’avalai avec espoir qu’elle disait vrai.   Peu de temps après, je m’endormis d’un sommeil profond.  Mes dernières pensées furent pour mon fils qui me manquait déjà beaucoup trop…

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